Tu n’aimeras point (Haim Tabakman, 2009): Chronique cinéma

TU N’AIMERAS POINT
(Einaym Pkuhot)
Un film de Haim Tabakman
Avec Zohar Strauss, Ran Danker, Tinkerbell, Tzahi Grad, Isaac Sherry, Avi Grayinik, Eva Zrihen-Attali
Genre: drame
Pays: Israël, France, Allemagne
Durée: 1h30
Date de sortie: 2 septembre 2009

Tu n'aimeras point affiche

Dans un quartier de la communauté juive ultra-orthodoxe de Jérusalem, Aaron reprend la boucherie de son père, mort il y peu. Marié et père de quatre enfants, Aaron observe scrupuleusement les lois juives qui régissent la vie de la communauté. Un jour il croise la route d’Ezri, un pratiquant juif venant de province pour retrouver un ami dans la ville sainte. Très vite Aaron le prend sous son aile et lui offre un travail dans son commerce mais leur relation va bientôt se nourrir d’ambiguïtés car Ezri est homosexuel. Les bruits commencent à courir dans le quartier et l’opprobre finit par atteindre la famille d’Aaron.

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Film troublant qui dépeind le quotidien d’une communauté pétrie de règles et de lois, Tu n’aimeras point (dont le titre original est Eyes wide open, « les yeux grands ouverts », faisant référence à la fois au fait de faire face à la réalité mais également au film presque homonyme de Stanley Kubrick, Eyes wide shut, l’histoire de la crise d’un couple autour de la question de la sexualité de l’épouse) fait s’affronter deux mondes incompatibles, qui se repoussent l’un l’autre, comme l’eau et l’huile. Aaron est un chef de famille qui perd ses repères, ses certitudes et ses principes moraux au contact de l’un des siens constamment repoussé par la communauté. Outre le décor surprenant d’un quartier de Jérusalem refermé sur lui-même, où ne vivent que les ultra-orthodoxes à l’abri du monde contemporain et de ses tentations, le film rend compte d’une hiérarchie sociale stricte, où chacun doit respecter sa place sous peine de bannissement.

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A la synagogue et aux ruelles où règnent les principes de la religion se confrontent deux autres espaces plus privés, l’arrière boutique de a boucherie et la source d’eau utilisée pour la purification à la marge de la ville. Le bassin à l’écart des chemins où Aaron et Ezri se baigneront ensemble pour la première fois et en contrepoint le frigo de la boucherie où l’on entrepose la viande, où l’on purifie l’impur et l’impropre à la consommation en nourriture sacrée, lieu à l’écart qui verra s’accomplir la faute. Au centre de la communauté se pace le sentiment de pureté, pureté de la chair et du corps contre les excès du monde, refus des idées progressistes pour au contraire retrouver l’enseignement originel du Talmud, un enseignement soumis à la réflexion de chacun de façon quotidienne, y compris sur le lieu de travail.

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Aaron, qui n’a pas eu la chance d’avoir étudié dans une école judaïque, est soucieux des conseils du rabbin, soucieux d’apprendre davantage les subtilités de la Loi juive mais ne peut s’empêcher d’éprouver le conflit qui se trame en lui. Au cœur d’un quartier où chacun surveille son prochain, où chacun observe le respect des lois par tous, il n’y a pas de place pour d’autres choix, d’autres conceptions de la vie humaine. Les juifs ultra-orthodoxes ne nomment jamais ce « mal » car à leur yeux l’homosexualité n’existe pas. Elle n’existe que comme une tentation, une faute, un crime inavouable et impur. Le titre français, pour une fois choisi avec beaucoup de pertinence, reprend la sentence des commandements inscrits sur les tables de la Loi apportées par Moïse, prophète et guide d’un peuple qui cherche le salut. Tu n’aimeras point est un film subtil, déroutant par son atmosphère oppressante mais tellement juste sur les contradictions inhérentes à la nature humaine, un film qui allie rigueur de la mise en scène à la précision de l’écriture. Un vrai moment de cinéma.