Chomsky et Cie (Olivier Azan et Daniel Mermet, 2008): chronique cinéma

CHOMSKY ET CIE
Un film de Olivier Azan et Daniel Mermet
Avec Noam Chomsky, Normand Baillargeon, Jean Bricmont
Genre: documentaire
Pays: France
Durée: 1h52
Date de sortie: 26 novembre 2008

« Le pouvoir ne souhaite pas que les gens comprennent qu’ils peuvent provoquer des changements » nous dit Noam Chomsky et cet intellectuel américain défend cette ligne de conduite depuis ces débuts dans les années cinquante. Linguiste de formation, il se définit lui-même comme un anarchiste socialiste qui prône l’exercice de la pensée critique au quotidien, non seulement contre le pré-mâché des clichés et des fausses vérités mais surtout contre le rouleau-compresseur des forces médiatiques qui ont transformé l’information en marchandises plus ou moins rentables. Noam Chomsky ne dénonce pas un quatrième pouvoir à la solde de gouvernements qui voudraient dissimuler des vérités qui fâchent mais bel et bien une industrialisation des organes d’informations qui, peu à peu, perdent de leur indépendance au profit d’une stratégie de type commerciale. Pour étayer ses propos, l’intellectuel pioche dans l’histoire récente des conflits à travers leur perception et leur retranscription dans les grands médias du monde. Le film est une véritable bouffée d’oxygène pour le cerveau, du moins pour les cerveaux qui veulent encore faire fonctionner leurs neurones.

A l’origine de ce film documentaire, une série d’entretiens accordés par Noam Chomsky à l’émission de radio « Là-bas si j’y suis » sur France Inter. L’énorme succès de ces entretiens audio lança une vague de souscription pour permettre à une coopérative de production, d’édition audiovisuelle et de distribution cinématographique indépendante nommée Les Mutins de Pangée, de transformer cette première expérience en film de long-métrage. Le travail de documentation, d’écriture et de recherches d’archives fut ainsi permis sans aucune aide publique préalable ni contrainte de pré-achat télévisuel. Un film auto-financé qui, malgré une forme très modeste et même parfois une image vidéo insuffisante pour la projection en salle, témoigne d’une rigueur et d’une pertinence étonnante. A travers des séquences d’interviews de Noam Chomsky, entrecoupés de la participation de deux penseurs connaissant bien son œuvre écrite, le film aborde des thèmes variés tels que le principe de consentement, la fabrication de la guerre ou encore l’autodéfense intellectuelle. En évoquant une révolte au Chili en 1907, l’attaque trompeuse sur le navire américain Meddox qui permit aux USA d’engager la guerre au Vietnam du sud, la radicalisation des Khmers rouges suites aux bombardements massifs de l’armée américaine dans les régions cambodgiennes frontalières du Vietnam, le massacre au Timor Oriental soutenu par les forces occidentales et bien entendu l’entrée en guerre des USA contre l’Irak, c’est toute une idéologie occidentale agressive et perverse que Noam Chomsky met à jour.

Détesté en France parce qu’il remet en cause la responsabilité même des intellectuels dans ce vaste aveuglement de l’histoire, de ses causes et de ses effets, les écrits de Noam Chomsky sont restés longtemps non traduits, une situation qui change cependant depuis les attentats du 11 septembre 2001, une catastrophe qui a révélé toute l’inanité d’un système de pensée plombé par les penseurs occidentaux depuis des décennies, notamment depuis le revirement de nombre d’entre eux, dénonciateurs des exactions américaines en Asie dans les années soixante-dix avant la grande déception de la montée des dictatures gauchistes et finalement l’admiration de la grande politique démocratique américaine. Chomsky lutte contre les raccourcis, les pertes de mémoire et surtout les jugements trop catégoriques et définitifs pour être sincères. Chomsky ne pense pas le monde, il l’observe et l’étudie avant d’en tirer des remarques et des théories. Véritable introduction à sa littérature, très prolixe par ailleurs mais dont seule une petite partie est aujourd’hui disponible en français, Chomsky et Cie révèle toutes les possibilités  et les nécessités d’une vraie remise en question des médias contemporains à l’heure où Internet déverse à flots continus des informations tous azimuts, informations dont chacun à la responsabilité de séparer le bon grain de l’ivraie.