La Chine (Michelangelo Antonioni, 1972): chronique cinéma

LA CHINE
(Chung kuo)
Un film de Michelangelo Antonioni
Genre: documentaire
Pays: Chine, Italie
Année: 1972
Durée: 3h28
Date de sortie: 8 avril 2009

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1972, la Rai, la fameuse chaîne de télévision italienne, et les autorités chinoises s’entendent pour faire venir le cinéaste Michelangelo Antonioni dans l’Empire du Milieux afin de filmer la Chine moderne. Cinq semaines de tournage très encadrées mais qui procureront à l’équipe des émotions inoubliables et de véritables sensations de découverte à une époque où le pays était fermé aux étrangers pendant plusieurs décennies. Voyage au cœur de la Chine rurale bien sûr mais aussi au cœur de grandes citées où l’urbanisme se développe, provoquant de profonds changements de style de vie. Au plus près de ces visages nouveaux, Antonioni filme les Chinois plutôt que les réalisations de la Révolution ce qui vaudra au film d’être censuré là-bas pendant près de trente ans.

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Mais peut-être y a t-il une raison plus profonde à ce que mes annotations soient restées des annotations, et c’est la difficulté que j’éprouve à me faire une idée définitive sur cette réalité en mutation permanente qu’est la Chine Populaire. » Ainsi commence le texte d’Antonioni Est-il encore possible de tourner un documentaire ? lorsqu’il se reproche à lui-même de n’avoir pas tenu un journal de voyage durant ces cinq semaines de prises de vues intensives. D’emblée le film ne nous promet pas d’être LE film sur la Chine mais juste un regard d’un cinéaste sur une réalité qui l’entoure et qu’il découvre au même moment qu’il tourne. Seule véritable ambition du film, celle de faire voyager le spectateur de la même façon que sa fabrication fit voyager Antonioni au cœur d’un pays dont il ne connaissait presque rien sinon les clichés d’une Chine fantasmée décrite dans la littérature et l’art occidentaux ou bien encore cette Chine politique portraiturée dans les discours révolutionnaires.

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Ici donc rien de tout cela. Au contraire le cinéaste a désiré s’approcher des Chinois, non perçus comme un peuple en tant que tel mais davantage comme des hommes. « C’est le paysage humain, si différent du nôtre, mais si concret et moderne, ce sont les visages qui ont envahi l’écran » dit-il encore. Le film d’Antonioni, inédit chez nous dans sa version longue, est donc un témoignage unique de la Chine Populaire des années soixante-dix, un document rare qui bien sûr aujourd’hui semble quelque peu archaïque tant les images de la Chine d’aujourd’hui ont proliféré ces dernières années tant sur nos écrans de télévision qu’au cinéma. Voir, ou revoir La Chine, c’est donc faire un bond dans le passé à l’heure où les Occidentaux en savaient bien peu sur cette immense pays refermé sur lui-même.

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La pratique matinale du tai-chi chuan, le collectivisme industriel, l’éducation enfantine à la discipline militaire, la sagesse et la modestie du savoir-vivre, l’importance et la satisfaction du labeur, autant de traits caractérisant le peuple chinois qui nous semblent familiers aujourd’hui mais qui, alors, se révélaient à nos yeux. Mal accueilli à la fois en Chine, où la préoccupation de l’individu dont fait preuve Antonioni leur semble comme une émanation de la bourgeoisie impérialiste, mais aussi en Occident, où l’on reprochait au cinéaste de ne pas avoir vu le véritable visage de la Révolution maoïste, trente ans plus tard le documentaire peut enfin prendre le sens que désirait lui conférer le réalisateur, celui d’un voyage émerveillé et innocent dont le centre du projet est la rencontre avec l’autre, avec l’étranger. Scène inoubliable du film, celle où l’équipe de tournage pénètre dans un village très éloigné dans lequel les habitants n’avaient jamais vu de visages occidentaux. Peur, timidité, gêne mais aussi curiosité et humour, Antonioni filme tous ces comportements très humains devant l’inconnu. L’on mesure alors que ces gens si proches de l’objectif de la caméra sont en réalité très éloignés de notre mode de pensée et de vie mais qu’un dialogue peut tout de même se nouer au-delà des différences.

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