Trois films de Jean-Marie Straub: chronique cinéma

LE GENOU D’ARTEMIDE
Un film de Jean-Marie Straub
Avec Andrea Bacci, Dario Marconcini
Année: 2008
Durée : 26 min

ITINERAIRE DE JEAN BRICARD
Un film de Danièle Huillet et Jean-Marie Straub
Année: 2008
Durée : 40 min

LE STREGHE / FEMMES ENTRE ELLES
Un film de Jean-Marie Straub
Avec Giovanna Daddi, Giovanna Giuliani
Année: 2007
Durée: 21 min

Date de sortie: 8 avril 2009

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Trois films récents de Jean-Marie Straub, dont un co-réalisé avec feu sa compagne Danièle Huillet, réunis pour une sortie en salle. Le premier segment, Le genou d’Artémide, reprend l’extrait intitulé La bête sauvage des célèbres Dialogues avec Leuco écrits par Cesare Pavese. Le second, Itinéraire de Jean Bricard, superpose deux enregistrements autobiographiques de l’écrivain Jean Bricard à des images tournées ultérieurement dans la région de la Loire-Atlantique. Enfin, le troisième et dernier segment poursuit la principe du premier, ici il s’agit de l’extrait Les sorcières, toujours issus des Dialogues avec Leuco.

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Le couple Straub, on le sait, a toujours refusé les diktats d’une cinématographie consensuelle et plaisante. Leurs films ne vont pas vers le public, c’est au public d’aller vers leurs films. Ces trois courts-métrages ne dérogent pas à la règle et même ils constituent une continuation sans faille d’un travail de transposition du littéraire vers le cinématographique comme en leur temps De la nuée à la résistance (1979) et Ces rencontres avec eux (2006) avaient entamé par exemple un dialogue entre le travail des Straub et celui de Cesare Pavese. Ainsi Le genou d’Artémide et Le streghe sont également issus des Dialogues avec Leuco, de courts textes reprenant des réflexions autour des mythes, des dieux et de la place des hommes dans un monde qui perd peu à peu ses liens avec le divin.

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Avec une constante austérité, Jean-Marie Straub travaille ici le texte pavésien avec théâtralité et frontalité, chaque dialogue présentant deux personnages, Endymion et un étranger dans le premier segment, Circé et Leucothéa dans le troisième. Chacun déclame le texte avec détachement, sans affect ni sentiment. Le cinéaste incarne le verbe non pas à travers les personnages mais à travers l’image et le son, de longs plans fixes accompagnés du dialogue et des sons naturels de la forêt, cadre dans lequel se déroule ces échanges d’un autre temps. Car il s’agit bien de cela, d’une pensée et des croyances d’un autre temps, un temps épris de pureté et de signification où justement la volonté de réalisme était jugée comme superfétatoire. Pour Jean-marie Straub la vérité du verbe et de l’image n’est pas dans la représentation mimétique mais bel et bien dans la représentation la plus éloignée possible du quotidien. Ne pas adhérer à cela, c’est refuser toute l’œuvre des Straub.

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Etonnamment le second segment, Itinéraire de Jean Bricard, semble faire intrusion dans le parfait équilibre composé par les deux autres segments. Ici pas de présence d’une figure, d’une personne ni même d’un personnage, juste la voix off d’un écrivain qui parle de son enfance, une enfance passée sur les rives de la Loire du temps de la Seconde Guerre Mondiale. Au son de la voix, la caméra dérive le long du fleuve pour explorer les îlots de cette enfance perdue et nostalgique. Une nature presque intacte qui laisse entrevoir tout de même des traces d’une occupation momentanée, ruines, cabanons, masures, mais surtout l’omniprésence des arbres morts ou bien dénudés par les rigueurs de l’automne. L’on trouve dans cette précision du paysage cette touche straubienne éclatante. Si dans Itinéraire de Jean Bricard le noir et blanc renvoie à un temps passé, un temps vécu, les couleurs verdoyantes de deux autres segments imposent une intemporalité mystique, ou plutôt mythique. Les œuvres de Pavese et de Jean Bricard nourrissent les films des Straub tout comme les films du couple nourrisent une nouvelle lecture des textes. Regarder les films des Straub, c’est accepter de regarder le cinéma autrement, quitte à en payer le prix, celui de s’y perdre.